Ces espèces inhabituelles

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SUD DU GOLFE DE GASCOGNE. Malgré un faible taux d’endémisme1, cette partie de l’océan atlantique bordée par la France et l’Espagne abrite une riche biodiversité. D’autant que des espèces inhabituelles pointent le bout de leurs nageoires. Pour autant, en l’absence de données quantitatives, cette tendance reste à démontrer selon Marie-Noëlle de Casamajor, docteur en biologie à l’Ifremer2 d’Anglet.

 

 

« En 15 ans, 35 de ces espèces ont été recensées mais ce chiffre doit être relativisé… »

Poisson rubis, espèce inhabituelle du sud du golfe de Gascogne, capturé au filet par 130 m de fond à Capbreton (août 1997). © P. Trentin / “Espèces inhabituelles capturées dans le sud du golfe de Gascogne”, Ifremer 2013
Poisson rubis, espèce inhabituelle du sud du golfe de Gascogne, capturé au filet par 130 m de fond à Capbreton (août 1997). © P. Trentin / “Espèces inhabituelles capturées dans le sud du golfe de Gascogne”, Ifremer 2013

Bonjour Dr de Casamajor. Y’a-t-il de plus en plus d’espèces nouvelles dans le sud du golfe de Gascogne ?

Je parlerais plutôt d’espèces inhabituelles. Soit parce qu’elles étaient rares et deviendraient de plus en plus nombreuses (ex. poisson lune : très présent l’été3) soit parce qu’elles n’avaient jamais été observées jusqu’alors (ex. poisson rubis : un seul signalement en août 1997). En 2013, l’Ifremer a sorti un rapport de synthèse (Espèces inhabituelles capturées dans le sud du golfe de Gascogne4) sur la période 1997-2012. En 15 ans, 35 de ces espèces ont été recensées mais ce chiffre doit être relativisé : on y prête de plus en plus attention.

Pourquoi doit-on relativiser ce chiffre de 35 espèces inhabituelles ?

Tout d’abord, et plus globalement, parce nous manquons de connaissances sur l’océan : l’océanographie est une science récente (une centaine d’années), la notion de biodiversité est apparue dans les années 80, et la mer reste peu accessible par rapport au milieu terrestre. Ensuite pour cette synthèse, les signalements d’espèces inhabituelles sont essentiellement rapportés par les pêcheurs5, sur le principe du volontariat. S’ils signalent la première fois une “nouvelle” espèce, c’est pour savoir son nom. Les fois suivantes, ils ne vont pas forcément faire remonter l’information. Le poisson est vendu en “divers” s’il est comestible. Nous avons donc des données qualitatives mais pas quantitatives. Enfin, “si personne ne va à la plage, personne ne va se noyer”…

 

 

« Est-ce que ces espèces inhabituelles sont en hausse ou est-ce leur suivi qui augmente ? »

 

Qu’entendez-vous par-là ?
Cela veut dire qu’on peut se poser la question : est-ce que ces espèces inhabituelles sont en hausse ou est-ce leur suivi qui augmente ? Prenons par exemple les tétraodontiformes6 qui sont des poissons typiquement tropicaux. Les pêcheurs en capturent de plus en plus, mais n’est-ce pas aussi grâce à des méthodes et stratégies de pêche de plus en plus sophistiquées et performantes ? Nous ne pouvons donc rien affirmer de façon scientifique…

 

Comment expliquez-vous leur présence dans nos eaux ?
Une présence ponctuelle peut être due à un animal malade ou perdu, que les courants auraient amené jusqu’ici. Par contre, s’il s’acclimate, s’il s’adapte à son nouvel habitat et qu’il reste durablement, c’est que les conditions favorables à son développement sont réunies. Cela peut être par exemple dû à une hausse de la température. Mais là encore, difficile à établir : il faudrait un suivi quantitatif. Pour cela, on pourrait par exemple inciter financièrement les pêcheurs pour qu’ils nous fassent remonter tous les poissons dit “inhabituels”, y compris les non comestibles comme le compère à bec de lièvre.

 

Autre espèce inhabituelle du sud du golfe de Gascogne, le compère bec de lièvre (non comestible). © de Casamajor / Ifremer
Autre espèce inhabituelle du sud du golfe de Gascogne, le compère bec de lièvre (non comestible). © de Casamajor / Ifremer

Il n’y a que les pêcheurs qui assurent leur collecte ?

Non, cela peut être par exemple des promeneurs de bord de mer qui observent des espèces en échouage ou en encore des pêcheurs de loisir. Mais les pêcheurs professionnels -même s’ils venaient à être rétribués pour accomplir cette tâche- resteraient une solution bien moins onéreuse qu’une campagne scientifique, où chaque sortie en bateau coûte plusieurs milliers d’euros. Comme son nom l’indique, le laboratoire Ressources Halieutiques Aquitaine (Ifremer Anglet) a pour priorité l’étude des espèces exploitées dans le commerce (évaluer l’état des stocks pour que leur exploitation soit compatible avec le maintien de leur population). Ainsi, il serait intéressant d’approfondir nos connaissances sur les carangidés car ils présentent un double avantage. Tout d’abord, ce sont des poissons comestibles qui possèdent un potentiel commercial. Ensuite, certaines espèces de cette famille sont de type méridional, leur présence dans le sud du golfe de Gascogne pourrait témoigner d’un réchauffement climatique local.

 

 

« Si une espèce envahissante venait à s’installer, cela pourrait impacter le milieu. »

 

Espèce envahissante, le crabe chinois à mitaine a été signalé qu'une seule fois dans le sud du golfe de Gascogne, en 2008. © de Casamajor / Ifremer
Espèce envahissante, le crabe chinois à mitaine n’a été signalé qu’une seule fois dans le sud du golfe de Gascogne, en 2008. © de Casamajor / Ifremer

Faut-il s’inquiéter de la présence de ces nouvelles espèces ?
Une présence temporaire ne porte pas à conséquence. En revanche, si une espèce envahissante venait à s’installer, cela pourrait impacter le milieu. Ça pourrait être le cas avec le crabe chinois à mitaine, introduit en Europe au début des années 1930. Un seul a été capturé en 2008 dans le golfe de Gascogne, donc rien d’alarmant. Mais si cette espèce, qui fait partie des 100 plus envahissantes de la planète, venait à s’installer par exemple dans l’estuaire de l’Adour, elle pourrait alors déstabiliser ses berges et concurrencer les espèces locales. Restons vigilants !

 

 

 

 

 

1 Présence naturelle d'un groupe biologique qui vit exclusivement dans une région géographique délimitée. (wikipedia.org)
2 Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. Le site Ifremer d’Anglet-Montaury, le “Laboratoire Ressources Halieutiques Aquitaine”, a pour missions le suivi des espèces exploitées commercialement et l’étude de la qualité environnementale (par l’observation de sa faune et flore).
3 La température estivale en Aquitaine a augmenté de 3°C en 50 ans (Francis Grousset, Le Changement Climatique en Aquitaine, forum d’acteurs du LabEx COTE, université de Bordeaux 2013). Pour la fin du XXIe siècle, la température de l’eau sur la côte aquitaine pourrait augmenter de 1,5 à 6°C ! (Groupement international d’experts sur le climat, 2001).
4 Téléchargeable sur http://archimer.ifremer.fr/doc/00117/22830/20772.pdf
5 Notamment ceux des criées de St Jean de Luz et Arcachon.
6 Ordre de poissons à nageoires rayonnées.

Quelques spécificités du golfe de Gascogne

Sa partie sud dispose de configurations qu’on ne retrouve que dans peu d’endroits du globe (Portugal, USA). À commencer par un plateau continental (fonds marins compris entre 0 et – 200 m) très étroit et un talus en pente douce. Cette proximité avec le littoral densifie les échanges de courants et de nutriments. Autre spécificité, la diversité de substrats avec l’enchaînement d’une côte sableuse (Landes), du Gouf de Capbreton (l’entrée de ce canyon sous-marin est à 200 m du rivage) et d’une côte rocheuse (Pays basque). Ce golfe se caractérise aussi par son hydroclimat : une houle omniprésente (avec des vagues appréciées des bars) et une salinité diluée par les nombreux cours d’eau qui s’y déversent, sans oublier une température clémente favorable à la biodiversité.

 

Propos recueillis par :
Ariane Moulène, Zoé Picard et Manon Séguéla

(“Ambassadeurs-Reporters de la Mer” / lycée Malraux de Biarritz,
atelier de journalisme encadré par Bertrand Portrat – ya’com)

Contexte :
Conférence “Biodiversité – sud du golfe de Gascogne” (M.-N. de C.)
Musée de la mer de Biarritz, mardi 5 décembre 2014
4e promotion des Ambassadeurs de la Mer

 

Docteur en biologie à l’Ifremer d’Anglet, Marie-Noëlle de Casamajor est passionnée de plongée (membre du BAB Subaquatique) et notamment de photo sous-marine. Ici avec les “Ambassadeurs-Reporters de la Mer” Ariane Moulène, Zoé Picard et Manon Séguéla. © ya'com / “Ambassadeurs-Reporters de la Mer 2014”
Docteur en biologie à l’Ifremer d’Anglet, Marie-Noëlle de Casamajor est passionnée de plongée (membre du BAB Subaquatique) et notamment de photo sous-marine. Ici avec les “Ambassadeurs-Reporters de la Mer” Ariane Moulène, Zoé Picard et Manon Séguéla.
© ya’com / “Ambassadeurs-Reporters de la Mer 2014”

 

 

 

 

 

 

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